L’habit fait-il le moine ? C’est bien possible, en tout cas Lacan le disait ainsi.
Gilets jaunes
Cela qui vient s’épingler pour faire sens, pour faire lien, identité commune, c’est le gilet, comme objet identifiant de la révolte. De la fronde. Le gilet qui rend visible, même la nuit. Mais qui laisse tout de même anonyme. Qui sont-ils un par un ? Le sait-on vraiment ? Le rond-point complète le topos, le lieu où l’on parle, où l’on se parle, où l’on se tient chaud, au chaud, où l’on existe à plusieurs, tous contre Un, Macron et ses maîtres, et ses riches. Les Champs-Elysées, la plus belle avenue du monde, à eux, pour eux. D’ailleurs, ils ont entendu l’invite à venir le chercher. Il ne faudrait pas maintenant s’en plaindre. Le berger-la bergère.
Ça dit quoi, sinon un débordement de colère, un sentiment de l’injustice vécue, fondée pour la majorité d’entre eux, même si la fange pestilentielle y trouvera toujours un nid, comme dans tout mouvement de révolte. Des factieux pour casser.
Mais aussi, ça rassemble et ça sépare des encore plus pauvres, des encore plus dans l’injustice sociale, des autres, ça fait, comme toute appartenance, des autres qui n’en sont pas, dont on ne veut pas. De la ségrégation.
Car ce qui unit, qui a été inventé pour ça, ce qui fait lien, c’est la République, la Nation, et ses instances institutionnelles et constitutionnelles, « incarnée » dans son discours. Ces derniers temps, le risque a été pris de trop s’en éloigner, voire de les ignorer ces instances, corps intermédiaires, associations…, un glissement plus que jamais vers l’oligarchie financière aux manettes, une pente vers une privatisation de l’Etat. Le Président, ceux qui l’ont fait roi ne tiennent pas à ce que ça change. Lui nous sert le refrain de la réforme profonde, unique, inédite, qu’il a même nommée révolution, il nous enfume avec cette litanie du nouveau monde. Comme si rien avant lui n’avait existé. Déjà cela inquiète.
Son élection, inédite, révèle plus que jamais à quel point l’appareil financier est aux commandes du pouvoir. Et comment lui-même est décroché d’une réalité populaire; car il n’est pas dans cette réalité-là, des gilets et des autres, ne la connait pas, n’en a pas l’expérience, n’a pas battu le pavé, ni les champs, (souvenez-vous : « J’ai connu les odeurs des fleurs / d’abord chez Colette ou Giono avant de les respirer moi-même… » Comment ? ce bambin ne sortait pas, était enfermé dans une bibliothèque ? n’a pas croisé une seule odeur de fleur réelle, les deux réelles, l’odeur et la fleur ) ni les meetings, il ne s’est pas plié aux petites tâches, ne s’est pas forgé à la rencontre avec cette plèbe-là.. une réalité qu’il ne connait pas, lui est sans gilet, hors sol. Là, il se prend du vrai réel, ça m’attaque moi, mon corps, le mien, pas celui du roi. Et celui du roi, qu’il nous sert dans son discours, devient une distribution de « brioches », au bon vouloir de ses amis.
Et puis, ces gilets qui font rond-point et champs communs, crient aussi du chacun pour soi, se demandent : est-ce que je fais partie des bénéficiaires des mesures ou pas ? Est-ce que je vais y avoir droit ? Qu’importe le voisin alors. (Une femme à la télé dit « je suis là pour mon porte-monnaie »), en miroir du pouvoir qui distribue ses miettes comme des oboles, un peu ici, un peu là, qui prie ses partenaires, grandes et grasses entreprises, de lâcher un peu de lest.. je crie surtout pour moi et un peu pour les autres, mes proches, éventuellement; les autres qui sont-ils, qu’est ce qui nous lie, puisque le discours du pouvoir du président lui-même, du gouvernement, des politiques, n’a pas l’âme à nous servir ?
Hélas, les derniers évènements de violence apportent la preuve du narcissisme en miroir advenu, là où se disait une cause justement fondée. Du coup, violence policière-violence des casseurs se répondent en miroir sans médiation. C’est au président de savoir poser une parole juste, un acte juste. On a l’impression qu’il ne sait pas faire ça. C’est cela qui est inquiétant, et qui n’apaise rien.
Qui sont les maitres au fond? Lacan le disait en 68, « vous cherchez un maître vous l’aurez ». Mais de maître, lui, jeune homme, n’en voulait pas, il voulait être écrivain le garçon, faire ce qu’il veut comme il veut, ce qu’il ne voulait pas c’est consentir à l’« l’humilité » (billet précédent) ça on a un peu compris, c’est même le mépris qui vient souvent à la place. Comme une défense devant l’impossible, sa certitude, sa conviction d’avoir raison, qui ne vacille pas. (et qui n’est en rien « ne pas céder sur son désir »). L’acte juste, la juste interprétation de la demande n’est pas au rendez-vous.
Et pour cause. La présidence de Macron se prépare depuis longtemps, conçue , construite, par un cénacle de financiers, patrons des media, grands patrons etc… d’où le vide du programme et la garantie, l’engagement, le pacte faustien du « on te tient par la barbichette », « ne bouge rien », « ne nous déçois pas », « ne nous mécontente pas », « sans nous tu n’es rien » « fais pour que ça continue à bien marcher pour nous ». (paroles imaginées bien sûr, mais qui éclairent pour moi ce malaise récurrent, le mien, à constater le décalage entre ce qu’il pourrait promettre et et tenir, et ce qu’il est sans cesse tenu d’annoncer : rien ! )
Là où ce devrait être le peuple son « maître », c’est en fait cette force là qui commande.
Et puis, le « en même temps », séduisant dès l’abord, étouffe en fait la démocratie; en étant adoubé par un « tous » à la fois, virtuel, sans autre, annulant toute alternance envisageable, toute contradiction, la réponse vient des extrêmes. Ce n’est pas d’un gilet dont il est alors question, ni même de sauvetage, mais d’une bourse… bien remplie, vénérée. A ne pas lâcher ou si peu…n’importe comment. (ce qui fait des extrêmes les « alliés objectifs » de ça, qu’ils le veuillent ou non !).
Gilets de sauvetage
D’autres gilets. L’envers. Jour après jour, nuit après nuit, il y a ceux qui risquent leur vie dans des bateaux de fortune, munis ou non de gilets de sauvetage, ils sont l’autre bord de la rupture, du malaise de la misère. Ces gilets là, est ce que les autres gilets s’en soucient, les accueillent ? Certainement non.
A cela, ceux-là, comme en retour, dans la même veine, le silence de l’Elysée sur la Déclaration Universelle des droits de l’homme, le traitement des migrants, les centres de rétentions, la situation des jeunes mineurs, pour tout cela on n’entend pas les beaux discours.. mais le désert, l’ignorance, l’inhumanité, pour le pouvoir, mais aussi pour les gilets. Nous oui mais pas eux. Restez chez vous, on est chez nous. Pas de main tendue, là où pourrait s’élever la dignité française.
Les « puissants », leur main mise sur nos richesses, nos pouvoirs à partager. Leurs oligarchies qui s’auto-proclament maîtres des peuples, jouir en paix. Tant chacun aspire à vouloir en faire partie, y être accueilli. Telle est leur force de captation : attirer pour mieux rejeter. Face à cela quelle conscience, quelle garantie républicaine incarne vraiment le Président ?
Jamais n’est autant apparu l’assujettissement du pouvoir. Et donc de nous tous. Il suffirait sans doute de pas grand-chose, d’une plus juste répartition, d’un plus grand respect de tous, d’une équité fiscale enfin. Non, rien….
Il n’y a plus d’aquarius, il reste un grand silence, les cris des enfants, des hommes, des femmes, engloutis.
Suite aux voeux présidentiels
On voudrait lui faire confiance, mais un tel écart entre ce qu’il dit et ce qu’il a fait, ou plutôt défait, depuis son arrivée ne nous y incite-invite guère (entend-il ce qu’il dit, y croit-il ?) Ce balancement entre le je et le nous est utile pour se dédouaner de sa responsabilité dans l’affaire, et s’inclure en même temps, comme un des nôtres, pas plus.
Ecologie industrielle (?) puis terrorisme puis IA quel fourre-tout ! Pas un mot sur l’évasion fiscale, pas touche. Même si on a droit à une prophétie : la fin du capitalisme ultra-libéral financier..
Enfin ce choix langagier : renaissance, retrouver, recréer, re.. etc.. Laisse-t-il entendre que tout a été perdu et que sa « mission » (sur terre ?) est de venir porter le nouveau monde qu’il va construire sur les ruines (on suppose) de l’ancien. Le croit-il ? Une mise en scène très évangélique non ?
Enfin
le 060115 juste avant le massacre…
*La parole politique quand elle est déterminée, franche, et qu’elle n’hésite pas à rappeler avec autorité l’éthique et les valeurs républicaines et humaines, à chaque fois que cela est nécessaire, quand elle fait œuvre civilisatrice, quand elle laisse à chacun sa liberté mais est garante de la liberté pour tous, sans doute peut-elle être là comme pare-feu à la haine qui monte. L’action publique, l’action politique, ne doit jamais se départir de sincérité, ni non plus d’audace. Elle ne doit s’en laisser compte par aucun conseiller de l’ombre qui roulerait pour sa chapelle ; elle devrait être irréprochable.
Vœu pieu, doux rêve ? Devant les épouvantails dressés, les récits d’horreur agités sans cesse, ne pas nier, ne pas reculer, ne pas céder. Se tenir debout et porter sa voix au plus près du Réel.
Ce jour janvier 2019
Ces paroles, mes paroles, aussi actuelles, mon voeu pour cette année, encore renouvelé…
Là, à cette heure du Monde, à cette heure de l’Europe, de la France, la responsabilité de tous nos gouvernants est immense. Sont-ils conscients qu’ils doivent impérativement là, maintenant, se réveiller ?