La Haute Autorité de Santé a donc « tranché ». Forte de sa légitimité et de son « indépendance », « chargée de promouvoir les bonnes pratiques et le bon usage des soins auprès des professionnels de santé et des usagers de santé », la HAS , dont la présidence est assurée par M. Jean-Luc Harousseau depuis janvier 2011. Je rappelle en passant que cette personne a perçu 205 482 euros des laboratoires depuis 2008. Certes dans les Principes fondateurs on peut noter : » l’abandon de leurs autres mandats et l’interdiction des conflits d’intérêt « , tout de même. On y lit aussi « La HAS procède à des comparaisons de produits, de techniques, de pratiques professionnelles, de structures et d’organisation, etc., », on y reviendra. Enfin concernant « la rigueur scientifique »: « Le doute formulé est le reflet du doute des scientifiques. » Diantre ! Nous voilà rassurés! Cependant, (je me réfère là à un excellent travail d’analyse d’Eric Laurent à ce sujet dans Lacan Quotidien 170) : « Sur la page de garde des dernières « Recommandations de bonne pratique » émises par la HAS en juillet 2011, version « phase de lecture et de consultation publique », figure l’énoncé explicite de sa méthode : « Recommandations par consensus formalisé ». … (Mais) Nous avons vu la semaine dernière (LQ164) , en suivant les critiques de l’équipe canadienne combien l’approche ABA est sujette à discussions du point de vue des critères mêmes de preuve qu’adopte la méthode du « consensus formalisé ». Il suffit de ne pas se laisser fasciner par les résultats des méta-analyses, de s’intéresser à l’histoire des méthodes comportementales, aux problèmes éthiques qu’elles soulèvent, à l’inclusion ou non des études admettant les punitions, et aux types de punitions admises, pour que l’évidence de grade B recule. Rien de ces débats, pourtant cruciaux, n’est mentionné.… Dès la première recommandation d’importance, on nous dit que l’approche ABA est de grade supérieur à tout autre et qu’en plus, l’ensemble des interventions doit s’effectuer en utilisant le modèle éducatif comportemental « pour ne pas disperser l’enfant/adolescent ». ABA gagne contre la méthode intégrative proposée par la majorité de la psychiatrie française inspirée par la psychanalyse. » A-t-on même consulté les praticiens que nous sommes, qui ont aussi à dire? Pourtant, comme l’avait déjà relevé le même Eric Laurent (lQ 164): « L’adversaire le plus résolu des techniques comportementales ABA n’est pas une/un psychanalyste. C’est une chercheuse autiste qui réside au Canada. Il s’agit de Michelle Dawson née en 1961, qui a rejoint il y a un peu moins de dix ans l’équipe de recherche de Laurent Mottron à Montréal. Devant le tribunal canadien des droits de la personne elle a déclaré avoir été diagnostiquée autiste au début des années quatre vingt dix, donc assez tard. En 2004, elle signe un article retentissant « La mauvaise conduite des behavioristes ou les problèmes éthiques de l’industrie Aba-autisme. » Dans cet article, elle lit et commente très précisément les publications de Ivar Lovaas, fondateur de la méthode ABA, pour mettre au point ce qu’elle appelle des objections « éthiques »/… » La HAS a donc dit la « vérité », sa vérité » : « 8. Quelle est la position de la HAS et de l’Anesm sur les interventions fondées sur les approches psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle ? L’absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle. » On voit de quelles précautions scientifiques elle s’entoure, et son souci des « bonnes pratiques ». On a hélas plutôt l’idée que, forte du slogan « culpabilisation des mères », il s’agit bien sûr d’éloigner toute pratique orientée par la psychanalyse du champ de la santé, voire du champ social tout entier. D’ailleurs il suffit de voir la reprise en choeur des journalistes et media ces derniers jours. (J’ai déjà suffisamment souvent analysé ici les mécanismes grégaires d’un journalisme mal informé à propos d’une certaine personnalité politique pour que l’on me soupçonne de ne parler que pour ma « chapelle » psychanalytique). Ainsi, on s’en donne à coeur joie dans la désinformation, ne soupesant même pas les termes de la HAS, qui indique seulement que cela ne « permet pas de conclure à la pertinence ».. On y va, à la grosse! En vrac, Laurent Joffrin Nouvelobs : « Nouvelle défaite pour la psychanalyse. Pour faire court, les disciples de Freud considèrent que les troubles qui affectent ces enfants – défaut de communication avec l’extérieur et comportements répétitifs – sont en grande partie imputables aux mauvaises relations qui se sont établies dès la naissance entre la mère et l’enfant. » Ca c’est certain il « fait court »! Eric Faverau, Libé, que l’on a connu plus objectif, tribune d’une page pour un chercheur en neurobiologie qui « dénonce la psychanalyse appliquée à l’autisme quand elle n’est pas évaluée ». Catherine Vincent sans surprise Le Monde 9 mars « la psychanalyse a perdu le combat ». Le nouvelobs encore: » Autisme et psychanalyse le scandale enfin mis au jour » !!! Last but not least : « Vaincre l’autisme », Le monde 23 février, page Débats: « L’autisme est une maladie précoce qui prend naissance le plus souvent pendant la grossesse. On trouve plus de neurones dans certaines régions cérébrales des enfants autistes. La prolifération cellulaire ayant lieu exclusivement in utero chez l’homme, cette preuve ne peut être contestée ». On développe ensuite les causalités de ces «réseaux neuronaux aberrants », « une malformation cérébrale est un phénomène « biologique » qui ne se guérit pas avec des mots. » Bon! Fin de l’article: « C’est en bloquant ces activités aberrantes (neuronales) avec des outils pharmacologiques (mais aussi de la rééducation nous dit-on plus haut) que les promesses les plus sérieuses.. » E. Laurent encore LQ 170 : « L’ennuyeux est que, comme le soulignait pour les lecteurs de LQ le neuroscientifique et chercheur Javier Peteiro, le dernier numéro de Nature consacré à cette question, en novembre 2011, concluait que rien n’est pour l’instant confirmé dans les nombreuses hypothèses émises sur la nature de l’autisme. » De plus on a élargi considérablement le spectre autistique, y incluant entre autres le Syndrome Asperger, panier de crabes sans rigueur nosographique, permettant ainsi un marché plus juteux.Concernant les rapports autisme et labo : HuffingtonPost Martin Quenehen « Rapport sur l’autisme : exclure les psys pour mieux engraisser les labos? » et Agnès Aflalo conférence du 4 mars).
Voilà où nous en sommes. J’ai déjà voulu témoigner dans un billet précédent, à ma mesure, de ce qui m’apparaît comme lourdement inexact dans les critiques faites à nos pratiques d’analystes, ici avec des enfants autistes. Il y a un emballement épidémique dont le fondement rationnel et scientifique précisément n’apparaît guère. Emballement médiatique aussi bien, auquel rien n’échappe plus de nos jours. Pourtant inexactitude sur nos pratiques en cabinet ou en institution, (cf. billet précédent et mon propre témoignage dans sa simplicité), inexactitude sur l’efficacité des TCC, inexactitude sur l’approbation qui serait générale des associations de parents ainsi que des autistes. Où sont les informations sur les nombreux livres d’autistes adultes et leur point de vue par rapport à leur « éducation »? ( Berger, Temple, Grandin, chercheuse Dawson etc..). Comment en est-on arrivés là, ici, en France, maintenant? Nous n’avons sans doute pas vu venir l’attaque; pas aussi forte. Nous ne nous soucions sans doute pas suffisamment de diffuser dans une langue plus simple nos travaux, leurs résultats, pour les rendre plus accessibles à l’opinion. Nous ne faisons pas de battage médiatique, mais aussi, je le crois, nous n’avons pas de tribune, parce que la pensée psychanalytique est une pensée et une pratique complexe qui demande une certaine éthique, un savoir-faire particulier, sans certitude, un autre rapport au temps, une clinique au singulier, au un par un et donc peu rentable, différente des protocoles randomisés et collectifs des TCC . Cela nécessite un savoir qui n’est pas seulement un acquis technique applicable dans des cases d’évaluation, un savoir qui s’élabore pas à pas à partir de ce que dit et demande le sujet (npc avec passivité ou neutralité bienveillante qui n’a rien à faire ici avec les autistes), un savoir adossé à son propre savoir intime analysé, qui part du sujet accueilli, une clinique. (cf. conférence. ECF l’exemple du garçon au bâton EL billet précédent). Et puis la psychanalyse dérange. Ce n’est pas nouveau. Sans doute ce qui est nouveau, c’est le tour nouveau du discours du maître, l’importance prépondérante donnée au corps dans sa dimension organique, au cerveau comme lieu de toutes les vérités, au marché et à ses productions pharmaceutiques, au pas pris par la jouissance sur le désir, à la nécessité voire l’exigence d’une vérité toute prête devant les désordres du monde (cf nationalismes, exclusions, ségrégations). Alors là où la pratique psychanalytique s’étaye sur de l’insu, du refoulé, de l’inconscient, du un par un, de la parole singulière, du parlêtre comme nous disons, et, je le répète de la complexité non-prédicitive, on voit venir le handicap, le corps, la cause génétique, la machine à réparer, la rééducation, le protocole. Protocoles, faire série, stéréotypes/ versus désir, kairos, intersubjectivité, trouver sa voie. Choix de vie, choix de civilisation. La psychanalyse dérange parce qu’elle veut conserver une part à l’intime. On ne sait pas ce qui s’y passe, dans le cabinet. On va jusqu’à imaginer peut-être que l’on va allonger un enfant autiste criant et sans parole sur un divan! Rien n’est moins vrai; chaque patient, quelle que soit sa pathologie, son symptôme comme nous disons, est accueilli comme un être singulier. Mais voilà, on ne peut pas voir ce qui se passe là, on ne peut pas y être, sauf à s’y engager soi-même. Ce respect fondamental de la personne se transforme, en ces temps lourds de fantasmes complotistes, en secret mauvais, malsain, attribuant au praticien des méthodes et des intentions diaboliques, hors du regard, et.. des cases. Nous connaissons ce trait du transfert dans une cure, mais quand il devient à ce point collecitf, politisé, il est plutôt le signe de lendemains qui ne vont guère chanter pour personne. C’est en ce sens que toute cette affaire, grave dans son accusation, infondée et outrepassant ses droits, est signe d’une dérive civilisationnelle qui, hélas, nous concerne tous. Renoncement à l’esprit des Lumières, renoncement aux idéaux républicains, à la liberté de choisir? Renoncement tout simplement à ce qui fait Humanité et lien intersubjectif. Ouvrir les bras à la technicité sans fin et à son alliance avec le marché sans sujet, signe d’une désespérance, française tout particulièrement, hélas. De plus : La HAS s’appuie sur « l’absence de données ». Comment peut-on rayer ainsi d’un coup de plume les congrès, les publications, les notes cliniques? Sinon que tout ce qui ne serait pas mesurable et inscriptible dans des cases n’existerait pas? Sinon que la seule méthode qui vaille soit celle déjà choisie arbitrairement de ABA, et je suis désolée de le dire son conditionnement et son dressage. Sinon que la France serait donc le seul pays au monde à décider de ce que l’on peut exclure, et qu’une seule méthode vaille? « En situation d’incertitude, il est crucial de préserver l’espace du débat démocratique. La question est globale. On sait le goût en Europe, des bureaucraties de tous ordres se pensant comme les guides sûrs de l’administration des choses, guidant les peuples, s’il le faut à leur insu, vers des solutions parfaitement calculées. On voit dans quel état est la zone Euro, résultat de l’action des bureaucraties financières après le crach des marchés de 2008. Les bureaucraties sanitaires européennes, devant le crach des certitudes scientifiques, ou leur prolifération « aberrante », sont tentées par des artifices divers pour imposer des solutions autoritaires inspirées par les lobbys scientistes. Nous souffrons clairement d’un déficit démocratique qui ne cesse de se manifester dans les différents scandales qui traversent le milieu psy depuis la régulation abusive des psychothérapies en passant par le plan de la prévention précoce de la délinquance, objet de la pétition « Pas de zéro de conduite à 3 ans ». Nous nous sommes souvent gaussés, de ce côté-ci de l’Atlantique, du choix américain de soumettre le remaniement du champ psy à des votes au sein de l’American Psychiatric Association, qui vote sur les propositions de modification du DSM. Le système européen des agences « indépendantes », élaborant la loi qui sera ensuite opposable à tous, est sans doute, sous nos yeux, en train de trouver ses limites. Nous pourrions nous inspirer – sans pour autant copier – de l’exemple américain et de ses multiples centres de décision, aussi bien au sein de la bureaucratie fédérale du NIMH (National Institute of Mental Health) qu’en dehors, dans le milieu psy structuré par l’American Psychiatric Association ou son équivalent pour les psychologues. Il ne s’agit pas d’idéaliser le système mis en place. Les difficultés d’élaboration du DSM V, les oppositions violentes qu’il soulève, les lettres de protestation des responsables du DSM IV et III R, tout cela témoigne d’une vitalité démocratique qui nous manque . Nous ne pouvons plus continuer à coup de « méthode de consensus formalisé » et d’assertion du type « Il convient de rappeler quelques faits qui ne sont pas contestables ». Nous sommes dans un champ qui ne nous permet pas ces facilités. Commençons par réformer ces Hautes Autorités proliférantes, faites pour éteindre les débats. » Éric LAURENT. LQ 170. cf. aussi LQ 176. Un enfant, c’est-à-dire chacun de nous, naît au lieu de l’Autre, d’un désir, généralement d’une rencontre entre deux personnes, quelle qu’elle soit, tenant compte des évolutions de la science. « Un désir non anonyme » disait J. Lacan (« Deux notes sur l’enfant »). La naissance d’un enfant nécessite l’invention d’un savoir-faire pour les parents, toujours, quelle que soit ou pas sa pathologie. Avoir un enfant déclenche forcément en chaque parent des désirs, des doutes des projections, des fantasmes, et oserai-je le mot, de la culpabilité bien sûr. Qui peut honnêtement prétendre le contraire? La culpabilité est la chose au monde la mieux partagée, combien de fois ce mot est-il prononcé dans une journée? Accuser les praticiens analystes de culpabilisation est quand même une arme fallacieuse, sauf à ne pas vouloir tenir compte des liens incontournables entre un bébé et sa mère et son père. Certains parents s’appliquent plutôt à vouloir en savoir un bout là-dessus, et ça produit toujours des effets. Comment une méthode rééducative, ABA pour ne pas la nommer, pourrait-elle ainsi promettre l’impossible, comment pourrait-elle à elle seule régler la question de l’autisme et être la seule légitime à traiter cette pathologie? Sinon pour barrer l’accès à psychanalyse? Peut-on accepter ainsi que l’offre multiples de soins et de prises en charge soit refusée maintenant aux parents, qui pour beaucoup, même s’ils restent plus discrets, savent que cette offre multiple est la condition nécessaire à leur mieux-vivre et à celui de leurs enfants? On sait par notre pratique combien et comment des parents qui ne seraient qu’éducateurs cela pourrait mener à la pire des choses. Certains traits humains ne se comptabilisent pas ne se chiffrent pas, ne se « casent » pas. L’amour, les sentiments, la tendresse d’un corps, les affects, tout cela ne peut se comptabiliser, sans reste. Or les cases sont remplies, oui/ non/ nsp/… sans reste. C’est parce qu’il y a du reste, du en-trop, de l’insu, qu’il y a de l’humain, de la question de la demande, et de l’échange entre les humains. Du vivant singulier, qui rate, échoue, pleure, crie, et dérange, et jouit. Loin de moi l’idée que les parents et les enfants qui souffrent ne pourraient pas bénéficier de techniques qui amélioreraient la vie au quotidien et leur permettraient des apprentissages; quel enfant, quel adulte ne passe pas par des apprentissages? Personne ne les refuse dans les institutions ou ailleurs. Mais, de grâce, que l’on n’en fasse pas la voie unique autorisée pour guérir; qu’elles soient à leur juste place, et que la nôtre qui a aussi fait ses preuves nous soit conservée. Laissons le choix aux parents et aux autistes de là où leur pas les mène. Quelles que soient les causes, si on les isole un jour, il y a pour enfants et adultes un réel dont personne n’est le coupable mais dont chacun peut explorer les complexités et les effets souvent si délicats à apaiser, à mener vers plus de pacification et d’élaboration symbolique, pour le mieux-être de tous. Ne faisons pas croire à des guérisons miraculeuses! Enfin, je vous conseille vivement de prendre le temps de visionner la conférence du 4 mars à l’Hôtel Lutétia. Je ne peux ici en faire le compte-rendu; vous y entendrez des collègues psychanalystes respectueux, attentifs, troublés aussi il faut bien le dire par ce déferlement. Vous y entendrez des témoignages d’accompagnement clinique au quotidien et leurs effets. Je suis en plein accord avec ce qui a pu être échangé dans ce riche débat. Puisque les media ne nous prêtent guère oreille pour l’heure… (communiqué du collectif des 39/ la nuit sécuritaire) Peut-on croire qu’une alternance politique irait vers plus de sagesse et de respect?