La « curée »/ Marcela Iacub Un conte cruel

La « curée »/ Marcela Iacub Un conte cruel

C’est la « curée » contre celle qui se dit nonne..Ça rue de tous les côtés, les juges et avocats, l’épouse, les machos, les féministes, les politiques, les journalistes, les critiques, et  même les écrivain(e)s s’en mêlent.  Montée au créneau de ma chère C. Angot, que je « suis » et lis depuis belle lurette,  la sortie de « L’inceste », l’écouter lire ça, la voir tremblante (et depuis, bien d’autres lectures, d’autres livres). Là aussi ça (se) « ruait ». « Merci de me faire confiance » me disait-elle alors; c’est toujours le cas. J-M Roberts, éditeur, avait osé. Et bien, là encore, il a osé, et c’est tant mieux (il n’est d’ailleurs pas tendre avec « cette gauche qui a choisi le bon côté du flingue » Libé 9/10 mars 2013). V. Despentes s’y met aussi (Le Monde 1er mars 2013). D’ailleurs, à les lire ces deux-là, qui font partie de mon « univers littéraire », on reconnaît pour chacune ses manies préférées. C. Angot est La Vérité de la littérature, elle seule sait l’écriture, c’est sa posture, je ne m’en plains pas, moi qui accorde aux artistes, aux « créants », toute légitimité dans l’illégitimité, toute autorité à subvertir, forcer les lignes et la morale, inventer, fictionner, bref la plus grande des libertés subjectives possibles (ce n’est d’ailleurs pas chose aisée). Alors, cette posture du « non » (« Non non, non, et non », Le Monde 24/25 février 2013) fait-elle entendre ce « non » qui n’aurait pas pu être prononcé? Ce « non » doit s’adresser à l’Autre. Le soutien des réseaux maintenant pour Christine, c’est tant mieux, elle en a pris tellement plein la gueule, mais bon. Elle ne rechigne pas non plus à publier le privé. G. Lefort (« Belle et Bête », les arts de la fable Libé 22 février 2013) en prend aussi pour son grade, supposé ne rien savoir de « La » Psychanalyse (et si c’était un peu vrai que pour certains c’est « une fosse d’aisance »?). V. Despentes fait sa fixette sur le patriarcat, les classes, et s’emmêle dans un contresens absolu sur la position de M. Iacub quant au viol, la place des femmes etc . Quant à son soutien à T. Banon, tant mieux, mais que vient-il faire là? L’une contre l’autre? Rivalité féminine mal placée, Mesdames mes amies écrivantes..(et si en lisant « Une semaine de vacances », on pouvait Jouir aussi du « pourquoi » autant que du « comment »? Quand C. Angot nous « donne à voir », à  lire, son amour pour une autre femme, ses ébats avec ses amants, si identifiables dans leur vie privée, pourquoi croit-elle qu’aucun voyeur ne pourrait s’en réjouir?). Pourquoi faudrait-il comparer? Les femmes sont Une par Une.

Car il existe une soeur en littérature, une autre, pour laquelle il  semble bien que l’écriture fasse tout autant fonction de bord (je n’ose dire de délivrance, j’entends déjà les cris de CA, bon elle ne va pas me surmoïser plus longtemps, ce serait le comble que ce soit elle le surmoi dans cette affaire, au fond VD est plus drôle, plus j’menfoutiste d’une certaine façon, plus légère- ce n’est pas un vain mot). La question c’est que sans cesse dire, écrire, passe forcément par un rapport entre fiction et Réel; quelle que soit l’expérience traversée (oui c’est une expérience, subjective). Il y a du corps, et la monstration de  comment chacune s’y prend avec elle, avec l’autre, pour en tracer quelque chose, les pulsions sont à l’oeuvre : corps froid et Jouissance sans vie chez Angot, découpée comme au microscope, extase, oeil, oreille, chez Iacub (par exemple). Aucune femme ne peut revendiquer être celle qui sait pour toutes (écrire, dire, jouir..).

Marcela Iacub écrit. Elle sait qu’elle l’a cherché, c’est une sainte, elle se prend pour Voltaire, elle se prend à son propre piège sans doute autant, voire plus, qu’au piège de l’autre. Elle le dit et redit. Je l’ai lue dans un souffle, comme un souffle, une rêverie mauvaise, un cauchemard avec des plages « roses », un délire, une métaphore fantastique, une « fable foudroyante » (W. Zarachowicz Télérama 6 mars 2013). Un souffle, comme la lecture de  « L’Inceste ». Lire, toucher le fantastique (halluciné?), atteindre la métaphore, payer de soi, de son coeur, de son être… car ce livre en vient à être une fiction, comme chaque essai d’approche de la vérité, d’un bout de la vérité, a « structure de fiction ». Qu’importe au fond quel est l’Homme en question, puisque c’est la partition Homme/cochon qui est en question, l’H. et son cochon partenaire, ou bien plutôt le Cochon et son Humain partenaire. Elle donne sa livre de chair, elle y laisse son oreille, trait de violence signalé (qu’importe la véracité de la Chose?). Marcela Iacub ne manque d’aucune lucidité dans sa tentative folle de mettre en mot sa confusion désirante prise dans l’amour. Il faut sauver le cochon.

Depuis des année elle fouille la question féminine de la Jouissance, des Jouissances, de la pulsion de mort; du consentement, du rapport maître/esclave, de la violence d’Etat, de la dictature; dans ses billets dans Libé, souvent avec un humour froid ou une belle ironie, elle tord les représentations, en prenant beaucoup de risque.  (Dernier billet  « La plénitude du vide » Libé 9/10 mars 2013). Elle met en acte le jeu des masques, mascara. Elle interroge les « ventres » (très drôle vision futuriste de la reproduction, « La reconnaissance des ventres  » Libé 12/13 janvier 2013). C’est une épreuve subjective  dont l’alchimie de l’écriture permet la métaphore du cochon (qui mange la merde, et tout est bon). Ne désire-t-elle pas que le cochon écrive, lui qui écrit si bien? Ne veut-elle pas qu’il puisse sublimer sa « cochonnerie »? Ce qui est rendu là est une traversée éblouissante et effrayante à la fois, consentie, jusqu’où, comment?. Ce qui est à l’étude c’est (a contrario des « féministes ortho ») le « elle l’a bien cherché », qu’est-ce que c’est? Jusqu’où la Jouissance, jusqu’où je consens à ma Jouissance,  à la Jouissance de l’autre? Bien sûr que tout cela est politique.  Marcela Iacub interroge le consentement à la Jouissance, la sienne, celle de l’autre; point de vue juridique; point de vue politique; point de vue inconscient; pas les mêmes plans.

Tous ces « rueurs » l’ont-ils lu? La curée n’est jamais bonne. Je n’aime pas cela, pour qui que ce soit. Faire de l’argent dit quelqu’un, pour l’instant, c’est elle qui paie non, et l’autre qui ramasse? (Ah! oui elle l’a bien cherché!). Ce livre n’est pas à charge, ou alors il l’est surtout contre l’auteure elle-même, dont on perçoit l’immense trouble. Quant au dsk, cela contribue plutôt à l’humaniser…le livre de Iacub n’est ni trash ni porno, on oublie qui est l’H. C’est (seulement) un Homme qui chute (quand il Jouit). Et l’inverse?

Certains de mes lecteurs seront peut-être choqués, agacés, contrariés de mon billet? Je prends mes risques, je les ai toujours pris. Contrairement à ce que l’on laisse entendre, ce livre n’est pas une merde au sens de la souillure trash people Voici. C’est une transformation littéraire et conceptuelle d’une traversée intime, et de la rencontre d’un autre, dont la dualité et une certaine détresse dans la Jouissance vient faire écho à la posture subjective de l’auteure. Il y a, à coup sûr, cette dimension fantastique qui touche du doigt le fantasme, la rêverie, le cauchemar infantile. « Belle et Bête » est pour cela un bon titre et ne désigne pas l’un et l’autre (exclusif) mais l’un et l’autre  (inclusif), chacun en prenant sa part. Il faut espérer que la subtilité et la complexité d’une pensée sont encore accessibles aux lecteurs français. Et que les (des) femmes cesseront de se dresser contre cette soi-disant « ennemie ». Bien sûr la notoriété de l’H. en question brouille les pistes, et en même temps est-elle tant que cela nécessaire au récit? Cet H. que l’on pense sans doute blessé lui aussi ne peut se dédouaner de ses responsabilités de sa vie, ni non plus de cette liaison. Ne dit-il pas: « Ma vie a été une terrible erreur »?

La sexualité, la Jouissance, l’amour, le désir, sont agents du lien social. L’écriture, la mise en danger du soi, les traversées sauvages, tout cela participe de notre vie, tout cela est politique. Une société ne se construit pas uniquement sur les rapports marchands du travail, le mieux-être matériel et économique d’un peuple, l’exploitation et le marché est aussi à l’oeuvre là-dedans.

« Comme mon père, un homme mort.. » Marcela Iacub